ITIL 4 : la co-création au coeur du modèle central
Nous approchons à grands pas de la publication officielle de ITIL 4 annoncée pour le 18 février. En avant-première, voici un des éléments importants de cette nouvelle version. Exit le cycle de vie des services apparu dans ITIL V3. Maintenant, ITIL 4 s’appuie sur un modèle central autour duquel tout s’organise. L’objectif du modèle central d’ITIL 4 est la création de valeur pour l’organisation réalisée sur la base de la co-création. Mais, qu’est-ce que c’est que la co-création? Est-ce une notion nouvelle? Je vais essayer de lever le voile sur cet aspect essentiel.
C’est aujourd’hui, 11 février, que les premiers cours accrédités de préparation à la certification ITIL 4 Foundation commencent à être délivrés. Dans une semaine, le 18 Février, AXELOS publiera officiellement la documentation ITIL 4. Et ce n’est que le 28 février que les premiers examens de certification ITIL 4 Foundation, en Anglais, seront disponibles pour le grand public. Or, à ce jour, AXELOS maintient un secret absolu sur le contenu détaillé de son référentiel de bonnes pratiques. Cependant, les formateurs accrédités, dont j’ai le plaisir de faire partie, ont déjà pu avoir accès à ce contenu. Je vous en livre dans cet article quelques aspects essentiels.
Des services informatiques vitaux pour la transformation numérique
Une étude réalisée par Forbes et BMC en 2017 auprès de 261 CEOs dans le monde montre la façon dont les services informatiques crée de la valeur pour les entreprises dans le cadre de la transformation numérique. Les principaux résultats sont les suivants :
- La majorité des exécutifs (56%) qui ont répondu admettent que le périmètre des TI change à un rythme extrêmement rapide. Ils reconnaissent qu’il est très difficile de faire face au besoin de compétences indispensables pour répondre aux besoins. L’absence su le marché de compétences TI alignées sur le business est aujourd’hui un des grands challenges.
- Une large majorité admet que les budgets TI peinent à satisfaire simplement le maintien en état de fonctionnement de ce qui existe. L’absence d’une approche de gestion des services nuit à la compétitivité des entreprises. Trois dirigeants sur quatre s’accordent pour dire que le temps, l’argent et les ressources consacrés à la maintenance et à la gestion courantes (par rapport au développement de nouveaux projets ou aux nouvelles initiatives) affectent la compétitivité globale de leurs organisations.
- La gestion des services TI joue un rôle crucial dans les principales initiatives de business numérique. Une majorité de cadres, 56%, indiquent que la gestion des services informatiques est soit «extrêmement importante», soit proche d’être vitale dans les efforts de cloud computing ainsi que dans les initiatives de Big Data de leur entreprise. Cinquante-quatre pour cent ont également indiqué que la gestion des services informatiques était «extrêmement importante» ou proche de d’être importante pour soutenir leurs efforts de mobilité. La plus grande contribution de la fonction ITSM aux efforts de transformation numérique réside dans la transparence et la productivité.
Le modèle central d’ITIL 4
L’objectif principal de la nouvelle version du référentiel ITIL 4 est répondre aux besoin des entreprises de la 4ème révolution industrielle. Celle-ci est basée sur une économie numérique. Elle va donc aider à la transformation numérique des organisations.
Nous reviendrons en détail sur le contenu d’ITIL 4 après la publication officielle par AXELOS. Mais, ce qui saute d’abord aux yeux, c’est la création d’un modèle central (« core model »). Et, ce modèle est fondamental. En effet, il constitue le véritable coeur de la création de valeur : le SVS (système de valeur des services). Donc, tout s’articule en son sein et autour de ce système central.
Comme vous pouvez le voir sur le schéma ci-dessus, tout part de la reconnaissance d’opportunités ou de demandes. L’objectif, au travers du SVS, est alors de transformer ces opportunité et demandes en produits et services créant de la valeur pour l’ensemble des parties prenantes. Pour ce faire, l’organisation va s’appuyer sur les éléments de ce modèle, à savoir :
- les principes directeurs
- la gouvernance,
- la chaîne de valeur des services
- les pratiques (qu’on retrouvait auparavant dans les processus d’ITIL v3)
- et l’amélioration continue.
Un alignement sur les autres cadres de référence
Ainsi le périmètre d’ITIL 4 change complètement. On sort de la direction informatique pour couvrir l’intégralité de l’organisation avec ses parties-prenantes.
Ce modèle marque un virage très affirmé vers le principe de la valeur des TI pour l’organisation. ITIL 4 renforce le fait que les TI doivent toujours considérer leur contribution directe au succès de l’entreprise et non être perçues comme un centre de coût.
Pour les lecteurs réguliers de ce blog, admettez avec moi que tout cela s’aligne fortement sur un autre référentiel : COBIT.
En mettant d’avantage l’accent sur la « demande » et « l’engagement » avec les parties prenantes, ITIL 4 s’aligne désormais également avec le BRM (Business Relationship Management) qui a le vent en poupe ces dernières années. Si ces concepts étaient déjà présents dans ITIL 2011, ils deviennent dorénavant centraux dans ITIL 4.
L’autre changement important est la reconnaissance et l’intégration de trois grands courants sur le marché. Il s’agit de LeanIT et DevOps et OCM (Organizational Change Management). Avec ITIL 4, ces pratiques sont expliquées et intégrées au cadre de référence.
La co-création au service de la création de valeur
D’après mon expérience, les clients, grands et petits, comprennent que l’alignement conduit à une transformation qui dépasse leurs attentes. Plus les clients réalisent que leur fournisseur s’engage à les écouter, à accepter et à répondre à leurs exigences précises, et plus ils désirent être impliqués dans cette organisation.
La co-création, qu’est-ce que c’est?
La phrase-clé, c’est «être impliqué». Cela prend de plus en plus la forme de ce qu’on appelle la co-création client. Prahalad et Ramaswamy ont défini la co-création comme « la création conjointe de valeur par l’organisation et le client afin de permettre au client de co-construire l’expérience de service pour l’adapter à son contexte. » Dans mon travail, je définis la co-création comme « la création délibérée de partenariats avec des clients, partenaires ou employés stratégiques pour concevoir, résoudre un problème, améliorer les performances ou créer un nouveau produit, service ou business. »
Le concept existe depuis 2000, mais il a fallu plus de dix ans pour qu’il devienne populaire. La co-création ne se limite pas à créer un comité de clients pour donner leur avis sur un nouveau produit. Ce n’est pas seulement consulter les clients sur une astuce de vente et de marketing. Il s’agit de créer conjointement de la valeur, tant pour le fournisseur que pour les clients. Pour la plupart des managers, l’idée même de faire participer les clients de manière ouverte et transparente est effrayante. Et je ne vous parle pas de leur réaction quand il s’agit de partager des données détaillées avec les clients! Et pourtant, les bénéfices réalisés grâce cette approche devraient les amener à y réfléchir d’avantage.
Un exemple de co-création chez DHL
Je ne vous surprendrai probablement pas si je vous dis que la co-création est au coeur de la stratégie d’Amazon. Cela explique en partie son exceptionnelle croissance depuis plusieurs années. Mais je vais prendre un autre exemple. Il est peut-être un peu moins connu. C’est celui de DHL, le leader mondial de la logistique. DHL fait partie de la plus grande société mondiale de services de courrier et de logistique, Deutsche Post (« DP ») DHL. Vous les connaissez sans doute par leurs camions de livraison jaunes et rouges. Privatisé il y a 15 ans, le groupe DP DHL emploie quelque 350 000 personnes dans le monde. Et il génère un chiffre d’affaires annuel de plus de 60 milliards de dollars. Vous pourriez penser qu’une entreprise de cette taille aurait du mal à être agile et encore moins à fixer des normes en matière d’innovation et de service à la clientèle.
DHL a découvert que ses clients recherchaient de l’aide pour améliorer leurs performances. Et cette amélioration reposait en partie sur leur chaîne logistique. «C’est tout un défi, car nous avons généralement affaire à des chaînes d’approvisionnement mondiales très complexes», a déclaré Bill Meahl, directeur commercial de DHL, «une chaîne qui nous a incités à nous engager dans une aventure de co-création client».
Comment cela a démarré
S’engager sur cette voie signifiait plus que des modifications de processus et de services. Il fallait aussi sélectionner les « bons clients » avec lesquels travailler. Mais il fallait surtout prendre en compte l’approfondissement des capacités des employés afin de comprendre leur incidence sur les activités, la perception et la durabilité des clients. Selon M. Meahl, l’un des facteurs de succès critiques a été d’enseigner aux employés comment «se mettre dans la peau d’un client afin de bien comprendre la dynamique de travail avec les clients». Cette compétence est essentielle pour élaborer une gamme de recommandations viables et de nouvelles solutions qui répondent non seulement aux objectifs du client, mais démontrent également la valeur de DHL en tant que partenaire commercial.
DHL comprend que l’innovation doit être centrée sur le client. Ils veillent notamment à ce que cela se produise en réunissant les clients et leurs partenaires de service DHL dans des centres d’innovation spécialement conçus, basés en Allemagne et à Singapour, pour des ateliers de partage des meilleures pratiques et de création de valeur. L’objectif est d’ «organiser des ateliers pratiques intensifs explorant et comprenant les tendances technologiques, économiques, sociopolitiques et culturelles afin de développer de nouvelles méthodes de gestion des chaînes d’approvisionnement et de la logistique».
Co-création : mode d’emploi
Les sessions commencent parfois par un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler une entreprise en 2050. DHL utilise une méthodologie éprouvée de planification de scénarios. L’approche de DHL entraîne les clients dans un voyage dans le temps qui présente une vue à quatre quadrants de ce à quoi le monde pourrait ressembler en 2050. Les quadrants sont radicalement différents les uns des autres. Ainsi, un quadrant est toujours un scénario catastrophique et son contraire un monde parfait. La puissance de la planification par scénario réside dans le fait qu’elle brise les mentalités. L’équipe commune « revient » ensuite en arrière de 2050 à 2020. Cela fournit une plate-forme pour des lignes de tendance, des compétences de base et des problèmes spécifiques à résoudre. À partir de là, l’équipe commune réfléchit aux solutions et aux approches à mettre en oeuvre.
Des résultats concrets
Beaucoup de projets ont été lancés suite aux plus de 6 000 engagements réalisés dans les centres d’innovation de DHL. Parmi ceux-ci et et parmi les résultats d’autres formats de co-création avec les clients, citons:
- Parcelcopter, un projet de recherche sur la livraison de drones, qui pourrait à l’avenir permettre aux entreprises d’être plus réactives, agiles et économiques.
- «Lunettes intelligentes» et réalité augmentée, co-créées avec le client de DHL, Ricoh, afin d’améliorer l’efficacité de la gestion des stocks et des entrepôts de 25%.
- «Maintenance à la demande» (MoDe), co-créé avec le client de DHL, Volvo Trucks, et d’autres partenaires, utilise des capteurs qui renvoient automatiquement les performances des véhicules et des composants afin de déterminer le moment et l’endroit où la maintenance des camions sera requise.
- IoT Report, un rapport de l’industrie, rédigé par DHL et Cisco, qui a identifié et évalué les implications et les cas d’utilisation des objets connectés dans la logistique.
- Applications robotiques actuellement testées conjointement avec des clients. Celles-ci partent des chariots automatiques qui aident les préparateurs à effectuer leur travail de manière moins pénible. Et elles vont jusqu’aux robots collaboratifs qui aident les travailleurs à obtenir des services à valeur ajoutée tels que le co-packing.
- Rapport collaboratif de DHL et d’IBM explorant comment l’intelligence artificielle pourrait considérablement améliorer les activités logistiques actuelles de bout en bout.
Une expérience difficile mais réussie
Meahl admet que le concept de co-création a été initialement accueilli avec scepticisme, tant en interne et qu’en externe. Les clients pensaient que c’était une tactique de vente intelligente. En interne, DHL dispose de plusieurs unités commerciales qui ont des modèles commerciaux différents desservant les mêmes clients. Il fallait identifier les « bons » dirigeants de DHL qui « possédaient ce client ». Ensuite il fallait aligner et coordonner plusieurs équipes afin de produire les résultats des ateliers d’innovation. Tout cela a obligé l’entreprise à examiner de près sa propre structure et ses processus. Et bien entendu elle a été amenée à se réformer pour améliorer son efficacité et son efficience.
Le résultat en vaut la peine. Les scores de satisfaction client sont aujourd’hui supérieurs à 80%. Dans le même temps, les performances de livraison à temps dans le monde sont égales ou supérieures à 97%. Les taux de perte des clients sont en baisse. Et, de plus, les revenus provenant des nouveaux services / produits sont en hausse.
Meahl insiste sur le fait que les entreprises doivent structurer leurs organisations et leurs processus en fonction de leurs clients. La co-création est le nouvel enjeu du succès.
L’importance de la co-création dans ITIL 4
En 2019, les technologies jouent un rôle central dans la majorité des domaines d’affaires. Cependant, si ces technologies sont gérées en silo, sans comprendre comment elles contribuent directement à la croissance et l’efficacité, l’entreprise est vouée à l’échec. La principale réflexion à faire suite à ITIL 4 se situe donc au niveau de la relation entre le « business » et les TI. L’expérience le démontre : la synergie entre les TI et le Business est essentielle. Les organisations deviennent alors plus productives, plus proactives et répondent mieux aux changements du marché.
La définition même du service a évolué dans ITIL 4. Elle est maintenant beaucoup plus claire et plus compréhensible. Elle fait également référence de façon explicite à la co-création.
« Un service est un moyen de permettre la co-création de valeur en facilitant l’obtention des résultats demandés par les clients, sans que les clients n’aient à gérer les coûts et les risques spécifiques. » (ITIL 4)
Il est clair que sans l’implication du client, le fournisseur ne pourra pas satisfaire les attentes de celui-ci. La définition et la mise en oeuvre du service résultent donc d’une co-création entre le client et le fournisseur. Ainsi, c’est la clé-même de la création de valeur qui est au centre du modèle.
Vous pensez que cette évolution dans le bon sens et permettra à ITIL 4 de reprendre son leadership? Au contraire, vous pensez que tout cela n’apporte pas grand chose de nouveau? Vous voulez en savoir plus sur ITIL 4? Alors, ne soyez pas timide, envoyez nous vos remarques et vos questions au travers de vos commentaires. Et surtout n’hésitez pas à lancer le débat. Nous vous en remercions.
6 thoughts on “ITIL 4 : la co-création au coeur du modèle central”
Bonjour Alain,
Merci pour cet article, je suis votre blog avec intérêt !
Je pense qu’une nouvelle version d’ITIL était nécessaire avec notamment la prise en compte des référentiels que vous citez, car on a tendance à opposer ITIL & Devops (par exemple).
Je suis curieux de connaître plus en détail la teneur des changements, car étant donné qu’ITIL insiste sur le fait de ne pas réinventer la roue, j’imagine qu’on retrouvera la plupart des meilleures pratiques déjà présentes dans ITIL v3.
Cdt,
Jonathan
Pour avoir déployé maintes fois les process « standards », il est souvent fait une utilisation ISO d’ITIL. C’est à dire ne pas le prendre comme un recueil de bonnes pratiques, mais comme une norme de type ISO, avec plein d’Ayatola près à se battre physiquement pour faire appliquer strictement le « process » tel qu’écrit, alors qu’il doit être adapté aux contextes d’entreprise. Ce qui fait que ces bonnes pratiques, peuvent d’une part être déployées en mode agile mais s’adaptent parfaitement à l’utilisation Agile. J’ai toujours trouvé qu’ITIL prétentieux avec une volonté de couvrir toute l’IT, alors que dans l’acronyme on ne parle que d’infrastructure. En effet avant ITIL les infras c’était la nébuleuse des IT, avec des ingénieurs systèmes ingérables qui en gros disaient : « on fait ce qu’on veut on est les infras », sans suivi, sans mesure (mais est ce que cela a vraiment changé ?). Mais de là à prétendre couvrir la demande des business jusqu’au support et déploiement …. humm je suis très preplexe. Ils devraient se concentrer sur le coeur de métier visé, plutôt que de prétendre gérer du projet et les demandes business, ce qu’Agile ou d’autres méthodes du marché font très bien sans cela.