Bonne gouvernance : de quoi parle-t-on?
J’entends souvent, notamment dans le bouche des personnages politiques, l’expression « bonne gouvernance ». Tout un chacun a sa définition, à la fois de ce qu’est la gouvernance et de ce qui est bon ou mauvais. Alors je vais essayer, sur la base de cadres universellement reconnus (tels que COBIT ou ITIL par exemple), de vous donner mon explication de cette expression. Bien sûr, j’imagine que certains et certaines d’entre vous auront des désaccords. Les commentaires vous sont ouverts. N’hésitez pas à partager votre vision avec les autres lecteurs.
Au cours des derniers mois, de nombreuses organisations, entreprises et experts du secteur m’ont demandé mon avis sur le cadre de gouvernance idéal à mettre en oeuvre.
Y a-t-il un cadre de référence?
J’ai une très mauvaise nouvelle pour eux. Il n’existe aucun modèle existant qui utilisable tel quel dans votre organisation. Je crois que cette attente est le résultat d’une idée fausse selon laquelle les référentiels, les modèles et les meilleures pratiques de l’industrie peuvent littéralement s’appliquer directement à une organisation. Alors la croyance veut que, d’une manière ou d’une autre, la bonne gouvernance apparaît comme par magie. J’entends ainsi souvent parler de l’implémentation d’un cadre de management ou de gouvernance dans une entreprise. C’est un total non-sens. Copier-coller un modèle ou un référentiel générique dans une entreprise est le meilleur moyen de la tuer définitivement!
Il n’existe pas d’approche «taille unique» en matière de gouvernance. Chaque entreprise doit donc trouver ses propres meilleures pratiques en fonction de son ancienneté, de sa taille, de sa complexité et de l’étendue de ses opérations internationales. En outre, les organisations doivent s’appuyer sur un avis juridique avant de mettre en œuvre des politiques et des procédures spécifiques. En effet, chaque entreprise doit impérativement respecter les lois et règlements applicables, y compris les exigences liées à la bourse.
Qu’est-ce que la gouvernance?
Essayons, pour commencer de donner une définition de ce qu’est la gouvernance d’entreprise. Pour cela, je me suis basé sur un certain nombre de publications d’organisations internationales et d’institutions. Vous en trouverez les références à la fin de cet article. Considérons-la comme une synthèse des vues largement acceptées au niveau mondial en la matière.
Définition : La gouvernance d’entreprise est l’ensemble global de politiques, de procédures et de relations qui permettent à une organisation d’établir des objectifs, de fixer des limites éthiques aux moyens acceptables avec lesquels ces objectifs seront atteints, de surveiller la réalisation des objectifs, de récompenser les réussites et de discipliner les échecs ou tentatives inappropriées pour atteindre les objectifs, afin de maintenir l’organisation alignée sur les besoins et les intérêts de ses principales parties prenantes.
Quelles sont les structures pour une bonne gouvernance?
Les structures de gouvernance sont un élément clé de tout système de gouvernance. La plupart des publications que vous voyez aujourd’hui indiquent très clairement que le conseil d’administration (ou son équivalent dans votre organisation) est l’organe de gouvernance. Tout ce qui se trouve en dessous de cette structure constituerait le management.
Je suis en total désaccord avec cela. Il s’agit là d’une vue extrêmement simpliste de l’entreprise. En fait, il existe plusieurs organes qui participent à la bonne gouvernance d’une organisation. Le défi consiste donc à déterminer où ils se trouvent. Il faut également comprendre pourquoi ils existent, ce qu’ils font et quelle valeur ils apportent à votre organisation.
Une gouvernance d’entreprise efficace nécessite une interaction régulière et constructive entre les principales parties prenantes, le conseil d’administration, la direction, l’audit interne, les conseillers juridiques, l’audit externe et d’autres conseillers.
Alors, oui, bien sûr, le conseil d’administration a un rôle clé dans la bonne gouvernance d’une entreprise. Mais il n’est pas le seul concerné.
Essayons donc de mettre en avant quelques exigences indispensables pour qu’une entreprise puisse être considérée comme ayant une bonne gouvernance.
Dans ce premier article, je vais mettre l’accent sur le rôle du premier acteur de la gouvernance : le conseil d’administration. Dans un prochain article, je reviendrai sur les rôle des autres organes de l’entreprise dans sa gouvernance.
Le conseil d’administration – 7 principes directeurs
1. Il représente les « parties prenantes »
Le conseil d’administration doit s’assurer que les principales parties prenantes sont identifiées et, le cas échéant, que leurs retours sont régulièrement sollicités pour évaluer si les politiques d’entreprise répondent à leurs besoins et à leurs attentes. N’oublions jamais qu’une entreprise n’existe que pour créer de la valeur pour ses parties prenantes. Dans le cas où elle n’atteint pas cet objectif, elle est condamnée à mourir.
Or, dans un monde en permanente évolution, les parties prenantes clés peuvent changer au fil du temps. Et, à ce titre, les conseils d’administration doivent s’assurer que des processus sont en place pour surveiller régulièrement l’identification de ces parties prenantes clés.
Qui sont les parties prenantes?
Alors qui sont-elles, ces parties prenantes clés? Pour faire simple, disons que les principales parties prenantes sont celles qui ont un impact significatif sur les opérations de l’entreprise, ou sur lesquelles les opérations de l’entreprise ont un impact significatif.
Elles peuvent être externes ou internes et inclure les communautés affectées par les opérations de l’entreprise, les créanciers, les clients, les employés, les régulateurs, les actionnaires, les fournisseurs, etc.
Pour s’assurer de sa réussite, l’entreprise doit évaluer également son impact social et environnemental et déterminer s’il est conforme à ses objectifs et aux intérêts de ses principales parties prenantes.
2. Le C.A. est garant de leurs intérêts
Les administrateurs doivent agir dans le meilleur intérêt de l’entreprise et de ses actionnaires. Pour cela, ils doivent équilibrer les intérêts des autres parties prenantes externes et internes clés.
Le conseil d’administration doit faire preuve d’une indépendance et d’une objectivité suffisantes tant en apparence que dans les faits. Il doit exercer une forme claire de leadership qui soit distincte de la direction. Chaque administrateur doit faire preuve d’un scepticisme sain pour assumer ses responsabilités. Il doit être prêt à challenger de manière constructive la Direction Générale (en personne du DG ou CEO) ainsi que les autres membres du conseil.
Compétences et leadership
Les administrateurs doivent faire preuve d’intégrité et de compétence élevées. Ils doivent offrir des perspectives diverses en termes d’expertise du secteur d’activité, d’expertise technique, de culture et de réflexion. Le rôle d’administrateur n’est pas une simple « récompense » ni un rôle de façade. C’est avant tout une responsabilité de leadership. Cela ne s’improvise donc pas.
Les administrateurs doivent faire preuve d’un engagement de temps et de participation active. Cela comprend la préparation et la participation directe aux réunions appropriées du conseil, des comités et aux réunions d’actionnaires. Ils doivent être informés des questions pertinentes. Cela concerne en particulier celles qui concernent des crises potentielles ou existantes. Ils doivent également être disponibles pour consulter la direction, lorsque cela s’avère nécessaire.
Les membres du conseil devraient donc recevoir une éducation et une formation continues pour s’acquitter de leurs responsabilités. Cette formation inclut notamment les domaines de risques émergents pour l’entreprise. C’est en particulier le cas pour les risques cyber et les risques liés à la transformation numérique de l’organisation.
Indépendance et évaluation
Ils devraient, en outre, être rémunérés d’une manière qui encourage l’alignement sur les intérêts des principales parties prenantes.
Des sessions exécutives devraient être tenues régulièrement et souvent. En effet, elles sont essentielles pour établir un environnement approprié d’objectivité et de franchise. Ces séances devraient inclure les administrateurs indépendants et les administrateurs externes qui ne sont pas qualifiés d’indépendants, mais exclure les membres de la direction.
Le conseil d’administration doit faire l’objet d’évaluations régulières et solides. De plus, au besoin, les membres doivent être renouvelés (y compris les rôles de leadership au sein du conseil). Cela garantit ainsi un équilibre entre les connaissances propres à l’entreprise et les perspectives émergentes. Des évaluations efficaces des conseils d’administration devraient ainsi conduire à une amélioration de la gouvernance et des résultats de l’entreprise.
Les actionnaires devraient avoir des opportunités équitables de nommer et de voter régulièrement sur le maintien en poste des membres du conseil.
3. Il s’assure de la stratégie de l’entreprise
Le conseil d’administration doit s’assurer que l’entreprise maintient une stratégie durable, axée sur la performance et la valeur à long terme. Ceci comprend:
- La définition des objectifs de l’entreprise et l’approbation des objectifs stratégiques à long terme.
- L’évaluation des risques, y compris les risques de réputation. Cela passe par la recherche d’équilibre du risque et du bénéfice, après avoir pris en compte toutes les parties prenantes concernées.
- La définition de la rémunération de la direction qui s’aligner sur les objectifs stratégiques à long terme,
- L’évaluation régulière de la performance du directeur général (ou CEO) et la supervision de la planification de son remplacement.
- L’assurance que tous les employés reçoivent une formation adéquate et que le rémunération favorise l’atteinte des objectifs de l’entreprise.
4. Il est garant de la culture et de l’éthique de l’entreprise
Le conseil d’administration doit veiller à ce que la culture de l’entreprise soit saine. Il doit surveiller et évaluer régulièrement la culture et les valeurs fondamentales de l’entreprise, évaluer l’intégrité et l’éthique de la haute direction. Et, si besoin, il doit intervenir pour corriger les objectifs et la culture de l’entreprise en cas de mauvais alignement. Cela permettra ainsi d’éviter des scandales financiers tels que ceux de la FIFA ou du Dieselgate.
5. Il s’assure de l’organisation du management
Le C.A. doit veiller à ce que des structures et des pratiques existent et soient bien gouvernées afin de recevoir des informations opportunes, complètes, pertinentes, exactes et fiables pour effectuer efficacement sa surveillance.
Chaque membre du conseil devrait donc avoir un accès illimité à la direction pour s’acquitter de ses responsabilités.
Les membres du conseil ont également la responsabilité de protéger la confidentialité des informations non publiques.
6. Il est garant de la transparence à tous les niveaux
Le conseil d’administration doit s’assurer que les informations fournies par l’entreprise sont toujours transparentes, exactes, et conformes aux exigences légales, aux attentes réglementaires et aux normes éthiques.
Il doit veiller à ce qu’un comité indépendant (Comité d’Audit ou son équivalent) possédant l’expertise appropriée, soit responsable de la surveillance des auditeurs internes et externes. L’audit interne devrait avoir un accès direct et non filtré à ce comité. De plus, il doit disposer de ressources suffisantes. En outre, son objectif, son autorité ainsi que sa responsabilité doivent être officiellement définis et conformes aux normes internationales pour la pratique professionnelle de l’audit interne.
Le C.A. doit superviser en particulier l’évaluation du risque de fraude par l’entreprise. Il doit également s’assurer que des contrôles adéquats sont en place pour détecter et dissuader la fraude.
Le conseil a la responsabilité de la mise en place des processus permettant aux employés ou aux autres parties prenantes de signaler les soupçons de fraude ou de faute aux membres indépendants du conseil, sans crainte de représailles.
7. Il est ultime responsable de l’évaluation de son « système de gouvernance »
Les entreprises doivent être déterminées et transparentes dans le choix et la description de leurs politiques et procédures clés liées à la gouvernance d’entreprise. Ainsi, elles permettront aux principales parties prenantes d’évaluer si les politiques et procédures choisies sont optimales pour l’entreprise spécifique.
Le conseil d’administration doit donc s’assurer que l’entreprise évalue régulièrement l’ensemble de son système de gouvernance. Il permet ainsi de s’assurer que les composants individuels fonctionnent comme prévu et de manière cohérente pour atteindre les objectifs de business.
Le C.A. doit également veiller à ce que les évaluations de la gouvernance d’entreprise encouragent le signalement des lacunes potentielles à tous les niveaux, y compris au sein du conseil, sans crainte de représailles. Il doit, en outre, s’assurer que l’entreprise remédie à toute lacune en temps opportun.
Références:
- COBIT® 2019 (2018), ISACA®.
- COBIT® 2019 Framework: Governance and Management Objectives (2018), ISACA®.
- Guiding Principles of Corporate Governance (2019, The Institute of Internal Auditors, Neel Corporate Governance Center, University of Tennessee.
- COBIT® 2019 Framework: Introduction and Methodology (2018), ISACA®.
- Corporate Governance: An Overview of Public Company Requirements (2011), by Morgan Lewis.
- Corporate Governance Principles for US Listed Companies (2018), by Investor Stewardship Group.
- Enterprise Risk Management—Integrating with Strategy and Performance (2017), by Committee of Sponsoring Organizations of the Treadway Commission (COSO).
- G20/OECD Principles of Corporate Governance (2015), by Organisation for Economic Co-operation and Development (OECD), which comprises 20 countries/groups, including the U.S.
- Internal Auditing’s Role in Corporate Governance (2018), by The Institute of Internal Auditors.
- Internal Control — Integrated Framework (2013), by COSO.
Références complémentaires :
- It’s Time to Adopt The New Paradigm (2019), by Wachtell, Lipton, Rosen & Katz.
- Key Agreed Principles to Strengthen Corporate Governance for U.S. Publicly Traded Companies (2011), by National Association of Corporate Directors (NACD).
- King IV Report on Corporate Governance for South Africa (2016), by Institute of Directors in Southern Africa, a non-profit company.
- NYSE: Corporate Governance Guide (2014), by New York Stock Exchange.
- Open Letter: Commonsense Principles 2.0 (2018), by a group of business and investment leaders.
- Principles of Corporate Governance (2016), by Business Roundtable.
- Report of the NACD Blue Ribbon Commission on Building the Strategic-Asset Board (2016), by NACD.
- Requirements for Public Company Boards: Including IPO Transition Rules (2016), by Weil, Gotshal & Manges LLP Public Company Advisory Group.
- Reviewing Your Board—A guide to board and director evaluation (2018), by Australian Institute of Company Directors.
- The UK Corporate Governance Code (2018), by United Kingdom Financial Reporting Council.
- 21st Century Governance and Audit Committee Principles (2007), by Corporate Governance Center, Kennesaw State University; Neel Corporate Governance Center, University of Tennessee; Enterprise Risk Management Initiative, North Carolina State University; and Culverhouse School of Accountancy, The University of Alabama.
One thought on “Bonne gouvernance : de quoi parle-t-on?”